Samaha ne put s’empêcher de penser que le Docteur Masaryk réagissait comme une espèce de robot, pourvu d’une intelligence artificiel. Le sorcier semblait avoir développé les mimiques de rigueur dans chacune des situations du quotidien mais était indifférent aux restes du monde. Jezabel Pendragon avait bien choisi son nouveau responsable. Il ne risquait pas de tomber amoureux de sa patiente, celui-là, ou de son patient ? qu’en pouvait-elle bien savoir après tout. Soit le personnage était un sociopathe, soit il avait une aptitude incroyable à cacher toutes émotions. La psychiatre ne perçut même pas le moindre soulagement lorsqu’elle parla de cadavre à disposition. Quel étrange individu. Voilà qui serait bien intéressant à analyser, pensa-t-elle un instant. Était-il misogyne ? Avait-il ce comportement avec tous les membres du personnel ? Les questions sur l’étrange Hannibál ne cessaient de se bousculer dans la tête de la chamane et d’exciter ses sens ; ses mains en tremblaient légèrement. Qu’elle était son histoire ? Avait-il toujours été comme cela ? Que cache-t-il ? Un homme comme lui devait sûrement cacher quelque chose…
La question répétée pour la deuxième fois de son collègue obligea l’anglaise à mettre son questionnement de côté. Elle s’était prise au jeu du patient, mais se rappela que le nécromancien en était loin d’être un. Pourtant, rien ne l’empêcherait un jour, peut-être, d’essayer de lui donner un petit quelque chose pour le détendre et voir quelle serait son attitude avec un peu de désinhibition.
Le Docteur Masaryk posa la question du projet qui sonna presque comme une insulte, mais la rousse n’en fit pas cas. Le jeune homme n’était pas présent depuis longtemps et ne semblait pas voir qu’au-delà de sa propre condition, les autres chefs de services agissaient tous sous la surveillance acérée de la directrice et de sa secrétaire.
« Je ne suis pas du genre à avoir des projets, établis à l’avance. Je suis plus spontanée. Je prends ce qui vient et je m’y voue corps et âme jusqu’à avoir épuisé toutes les ressources à disposition. Je travaille ici depuis 6 mois. Les quatre premiers mois ont été une orgie d’expériences en tout genre, si vous me permettez l’expression. J’ai eu la faiblesse peut-être de me laisser aller dans mes découvertes, ce qui a entraîné un épuisement du côté des cas intéressants de mon service. Et depuis… l’incident, la directrice nous surveille étroitement et nous a spécifiquement demander de faire profil bas quelques temps. De plus, elle analyse en ce moment chacun de nos dossiers pour être sûre que rien ne viendra entraver la réputation de notre chère Lómilendë. »
L’ascenseur s’arrêta au onzième étage. Samaha Black continua son chemin en vérifiant à ne pas trop attirer l’attention. Les deux docteurs se dirigèrent vers les escaliers menant au douzième étage. Personne ne semblait dans les parages. Voilà qui éviterait tous questionnements inutiles. Le douzième étage était dans un piteux état, peu de monde pouvait imaginer qu’il en existait un treizième. Les deux collègues continuèrent leur traversée et la rouquine reprit là où elle s’était arrêtée.
« Vous êtes nouveau. Cela signifie que Pendragon a déjà étudié votre cas de long en large et ne sera pas tout le temps sur votre dos. Sauf si vous portez à son attention quelque chose de suspect, bien entendu. En ce qui nous concerne, c’est différent. Elle va examiner chaque cas que nous ferons entrer et va tenter de savoir pourquoi nous l’avons fait. »
La sorcière se permit d’omettre le détail qui expliquait pourquoi elle devait aussi être sur ses gardes. Malgré que, personnellement, Samaha n’avait rien à se reprocher, elle avait fait embaucher le docteur Frieman. Ce dernier était soupçonné d’avoir quelque chose à voir dans l’incident et Samaha pensait qu’il y avait effectivement de grandes chances qu’il y soit mêlé.
« Enfin, tout cela pour vous expliquer que je recherche un cas particulier qui vaille la peine de s’y intéressé et j’espère pouvoir m’y consacrer assez longtemps pour que la pression redescende et que nous puissions reprendre nos jobs correctement. »
Ils arrivèrent devant le petit escalier qui menait au paradis des expériences en tout genre. Samaha indiqua le chemin dans le dédale de couloir au Docteur Masaryk. Ils pénétrèrent dans une salle qui faisait office de morgue.
« Et voilà Docteur Masaryk, voici cinq cadavres. Ce sont des SDF junkies. Personne ne viendra les réclamer, c’est donc la seule marchandise que je peux me permettre en ce moment. Il me reste quelques patients en fin de vie avec des symptômes divers, si cela ne devait pas suffire. »