Fidèle à lui-même, Maël s’engagea dans un discours enflammé propre à son tempérament ; louant puis maudissant ces Humains en un tour de main. Bien évidemment que l’élémentaliste allait s’offusquer de ce comportement. Pourtant, on ne pouvait pas blâmer ces pauvres âmes étrangères aux mœurs magiques. Le temps de l’ignorance quasi mutuelle touchait à sa fin.

Le regard de la Comtesse, cependant, ne trompait pas. Et si Maël n’avait pas la moindre idée de ce qui se passait, Zaïna su à cet instant qu’elle en savait bien moins que la nécromancienne. Et ça ne présageait rien de bon.

« Sage idée, chère Elizabeth. »

La direction s’attela à gravir les nombreux étages jusqu’à la tour qui abritait le bureau des trois fondateurs. Le garçon qui s’était précédemment évertué à ramener les bagages de « La Flamme » s’inclina à sa rencontre et lui adressa quelques paroles pour lui confirmer que ses valises avaient été bien apprêtées dans ses quartiers. Zaïna lui attrapa doucement le bras lorsqu’il voulu prendre congé lui susurrant quelques indications. Il dévala ensuite les marches, chargé de sa nouvelle tâche.

Un brin théâtral, l’allemand ouvrit les doubles portes du bureau directorial de toutes ses forces avec, à sa suite, Elizabeth et Zaïna. Cette dernière s’installa sur un fauteuil qu’elle affectionnait.

« Elizabeth vous semblez en savoir bien plus que nous. J’espère que vous pourrez nous partager vos connaissances. Je n’ai eu que vent de rumeurs persifflant depuis quelques jours sur mon chemin lorsque je m’aventure trop rarement au village. »

Les rumeurs n’étaient pas un fait inhabituel en soit au passage de la chamane. Une femme de couleur n’était que trop rare sur ces terres helvétiques et la méfiance se portait bien plus sur sa peau que sur ses attributs magiques. Récemment cependant, les rumeurs transcendaient son apparence pour se porter sur sa magie.

Un bruit à la porte empêcha toute réponse.

« Necalli, entre. »

Le jeune garçon apporta une bière, un thé et un verre de liqueur d’amende.

« Il me semble me souvenir que cette liqueur était un de tes breuvages de prédilection Elizabeth, mais si ce n’est pas ce que tu souhaites, Necalli s’empressera de te le chercher. »

Le chamane se crispa à l’idée de descendre et remonter à nouveau les six étages pour atteindre les cuisines, mais se ravisa et acquiesça promptement.

Maël s'emportait. Tantôt fulminant contre ces maudits Humains, tantôt s'extasiant de son retour dans le château - rien n'avait changé ! Cette marche, toujours inégale ! s'exclamait-il avec ravissement en s'achoppant dessus. Ces tableaux, ces rideaux, ces tapis, tout, tout semblait inchangé. Si cela l'avait excité les premiers instants, plus il montait les étages plus cela lui rappelait de douloureux souvenirs. Sa chère et tendre, qu'il avait rattrapée de justesse lorsqu'elle-même s'était pris les pieds sur cette fameuse marche. Leurs sourires, leurs plaisanteries sur l'air pincé du Sorcier peint sur ce tableau qui décorait l'un des nombreux couloirs... Plus ses souvenirs le submergeaient, plus il parlait, dans une vaine tentative de garder son cerveau occupé.

Il ne se tut que lorsqu'ils furent arrivés dans leur bureau directorial. Là, il s'installa dans ce qui était à l'époque son fauteuil, qui était devenu aujourd'hui une assise poussiéreuse et inconfortable. Il gigotait, bougeait et étirait ses jambes, peu attentif à la conversation. C'étaient des histoires de bonnes femmes, tout cela. S'il n'y avait pas de guerre proprement déclarée, pourquoi l'avait-on fait revenir dans ce lieu chargé de souvenirs ? Il se balança de gauche à droite après avoir bu une longue gorgée de sa bière. Il avait mal aux fesses. Heureusement, la fraîcheur de la boisson lui permettait d'oublier quelque peu ses douleurs.

Il regardait Elizabeth du coin de l'œil. Elle restait vague dans ses propos, c'était étrange. Presque politique. Il mettait ça sur le compte de la fatigue ; elle aussi, avait eu un long trajet.

Elle l'interrogea. Que contenait la missive de son fils ?

Il fourragea dans la poche de son long manteau, où divers petits objets s'emmêlaient. Il en sortit un bout de papier chiffonné et taché. Il la parcourut du regard, marmonnant les mots qu'il déchiffraient mais jugeait sans intérêt puis, arrivé au point critique, il s'éclaircit la gorge et prit la parole.

« blablabla... Les temps semblent bien sombres à Lómilendë. Au village, on murmure sur notre passage. On nous évite. Les gueux, qui nous étaient auparavant indifférents, nous regardent maintenant avec haine et peur. Il se trame quelque chose, Père, quelque chose de la plus mauvaise augure. Les Magiques les moins assurés n'osent plus sortir seuls de l'enceinte du château... blablabla »

Il soupira.

« Bref, vous connaissez le langage pompeux du fiston. Voyez par vous-même. C'est vague, mais suffisamment inquiétant pour que sa dernière ligne, là, fasse son effet. Père, je vous en conjure, revenez à Lómilendë, la puissance Adrazar sera indispensable pour éviter le courroux des Humains. »

Il tendit le torchon dans la direction d'Elizabeth, peu convaincu qu'elle le saisirait.

Si Elizabeth leur mentait, Zaïna n’en perçut rien. La comtesse semblait sincère dans ses assertions concises. Pourtant, la teneur de ses propos faisait travailler les méninges de la chamane à vive allure. Ce n’était donc définitivement plus une simple théorie ; ce qu’elle avait pris, de primes abords, pour une attaque contre sa couleur de peau s’était bel et bien transformé petit à petit en haine pour sa magie et le phénomène prenait à priori de l’ampleur au-delà des Alpes suisses.

« Je suis revenue, il y a 4 ans maintenant à Lómilendë. Je projetais de partir vers l’est, il y a quelques mois, pour aller à la rencontre de nouvelles pratiques chamaniques, cependant, les angoisses ici grandissantes m’ont retenu. »

Zaïna ne croyait pas en l’écriture. Elle croyait aux messages véhiculés par les esprits peu domptables des vents et des fleuves. La chamane estimait que si ceux-ci n’avait pas fait revenir les deux autres fondateurs au château, alors ils avaient certainement des projets plus importants à réaliser que de se préoccuper de son retour ; c’est pourquoi elle n’avait pas pris la peine de leur écrire. Ca et… elle savait pertinemment que leur progéniture respective devait s’être chargé de leur avoir annoncé son retour.

« Chère Elizabeth, je suis soufflée que l’on vous fasse pareil affront. Une femme de votre influence refoulée de la Cour ? Cette évolution est pire qu’une petite guerre de croyances villageoises. »

L’idée ne viendrait pas à Zaïna de remettre en cause les paroles de la Comtesse et de « La Flamme » pour tout ce qui touchait à la politique européenne. Elle n’avait que peu d’intérêt pour ces sujets géolocalisés sur une terre qui n’engrangeait pas de chamanes. Si dorénavant toute magie était visée cependant, la chamane devrait peut-être commencer à s’y intéresser d’un peu plus près.

« Et vous Maël, n’avez-vous donc pas eu d’interaction douteuse avec des non magiques lors de vos aventures ? »

La question relevait plus de la politesse que du véritable intérêt. Connaissant l’énergumène, il devait être tellement concentré sur ses propres recherches magiques qu’il ne devait pas faire attention au monde qui l’entoure.

« Elizabeth que recommandez-vous ? Devrions-nous imaginer des pourparlers avec les locaux ? »

Maël secoua la tête. Non, il n'avait pas senti de tensions. Il l'expliqua à la Chamane :

« Je pense que la Saxe ayant été dirigée par un Magique... (il marqua une pause) par moi-même, en fait... L'ambiance là-bas est bien différente. J'ai la sensation que nous sommes acceptés et surtout, que nous sommes suffisamment nombreux pour que je n'aie pas souvent affaire à des Humains. »


Il émit un grognement avant d'ajouter :


« Je ne sors pas beaucoup me mêler à la foule, de toute manière. »


C'était la vérité. Il passait son temps enfermé dans son laboratoire, à travailler sur sa Flamme. Il ne voyait pas grand monde, si ce n'étaient les domestiques de la famille, tous familiers avec l'Art. Et si tensions il y avait... personne ne l'informerait. On le laissait se plonger dans ses recherches, noyant son chagrin et ses sautes d'humeur dans le travail. En le protégeant du monde extérieur, on se protégeait de lui.

En écoutant Elizabeth, Maël s'enfonça dans son fauteuil et retint un soupir. Il n'avait pas envie. Il avait eu beau fanfaronner que ses flammes étaient leurs en cas de combat, il n'avait aucune envie de se battre. Il préférait se terrer dans un laboratoire. Mais s'il le fallait...

A la question de la Comtesse, il fit à nouveau un geste négatif de la tête.

« On peut poser la question à Yigaël mais je doute. qu'il soit au courant. Il est très pris par l'enseignement. »


Durant une seconde, il sourit fièrement à l'idée de son fils aîné donnant des cours aux Élémentalistes de Lómilendë puis reprit un air grave plus apprêté à la situation, se tournant vers Zaïna, espérant qu'elle aurait plus d'informations à leur donner.

La crispation d’Elizabeth et le détachement de Maël contrastait dans cette discussion. L’une avait ressenti la méfiance croissante de la Cour à son encontre et l’autre n’avait pas perdu l’adulation des alentours. Dans le cas de la première, Zaïna ne pouvait qu’imaginer la difficulté à ne pas se sentir à sa place quand on l’avait toujours été ; un mal dont la chamane n’avait plus à s’encombrer après de nombreuses années en terre si éloignée de sa culture et de sa façon de vivre première. Dans le cas du second, elle imaginait que « La Flamme », peut-être trop obnubilé par ses recherches, n’avait pas ressenti les influences religieuses néfastes des alentours.

« La personne la plus dérangeante et bruyante est Georg von Capol. Il est le… rahhh je n’ai plus le mot… l’homme qui rassemble tout le village les matins dans leur bâtisse du recueillement pour proférer des vérités qui arrangent cette communauté spirituelle et collecter de l’argent pour… soi-disant leur divinité. Comme si le divin avait besoin d’argent. C’est le mal des Humains. »

Ses yeux roulèrent à cette pensée absurde.

« Bref, il n’est certes pas à la tête de l’opération, cependant il ne faut pas sous-estimer l’amour que lui porte les habitants et sa capacité à aisément manipuler les esprits les plus… pénétrables. »

Georg von Capol possédait de nombreux défauts. Il était égoïste, vicelard et peu honnête, mais il maîtrisait l’Art des mots comme personne parmi les non-magiques et son jeu d’acteur en embarquait plus d’un sur son tissu de mensonges.

« Faire de lui un exemple peut s’avérer devenir un jeu très dangereux. Il est à double tranchant, car il amènera la colère du village, mais aussi l’attention de ses supérieurs, et qui sait… les feraient possiblement sortir de leur tour d’ivoire. »

Elle sortit de sa robe, un parchemin froissé qu’elle déposa sur la table à portée égale d’Elizabeth et Maël.

« Depuis quelques temps, j’ai pris le soin de faire dévier ses messages en possédant le coursier qui s’en charge. La teneur de certains sont pour le moins intriguant et expose sa nature pécheresse. Voici sa dernière communication. »

L’agitation de la Comtesse devenait palpable. Elizabeth s’exaspérait de la situation, mais quel en était la raison ? Ah oui, c’est vrai. Sûrement la naissance de son dernier rejeton. Zaïna ne comprenait pas cet attachement si fort à sa progéniture. Certes, une descendance servait la continuation de la lignée familiale et il aurait été fâcheux d’en perdre trop. Cependant, les enfants était fait pour qu’on les laisse vivre d’eux-mêmes. S’ils sont trop couvés, comment diable pourraient-ils parvenir à accomplir de formidables exploits ?

« J’ai dû bien évidemment remettre ces échanges épistolaires dans leur cursus naturel pour ne pas éveiller de soupçons. Les lettres interceptées n’en disaient pas beaucoup plus. Je soupçonne que ces deux hommes ont dû se rencontrer ou se rencontreront pour parler plus en détail de leur arrangement. »

Elle tendit la main vers la nécromancienne pour récupérer la lettre qu’elle remettrait au coursier possédé dans la journée.

« Chère Elizabeth, cher Maël, je conçois que vous souhaiteriez certainement retourner à vos occupations, cependant, avant de brûler à feu et à sang le village, je vous propose de rencontrer cet homme spirituel. Cela nous permettra d’en savoir plus sur ses intentions et peut-être sur les différents ennemis qui insufflent dès à présent de la méfiance envers les Magiques.

Zaïna but quelques gorgées de thé avant de poursuivre.

« Notre énergumène est absent pour quelques jours. Dès son retour, nous pourrions le retrouver de nuit et le questionner. Je suis sûre que nos différentes magies combinées seront lui soutirer des informations sans pour autant recourir à la violence. Qu’en dites-vous ? »

Maël s'étira une fois de plus, toujours aussi impatient de pouvoir s'allonger dans un lit, faire une sieste et apprendre en se réveillant que son retour à Lómilendë n'était qu'un mauvais rêve. Il n'avait aucune, aucune envie de se battre.

Il fit de son mieux pour ne pas le montrer, saisit la missive de von Capol une fois qu'Elizabeth l'eût parcourue, n'y décela rien de bien intéressant. Y avait-il réellement une menace ? Ou son fils s'était-il laissé influencer par Zaïna, qui semblait avoir un grief personnel contre l'Eglise et ses hommes ? Il fronça les sourcils. Non : la Nécromancienne avait confirmé ses dires, affirmant que les Magiques n'étaient plus les bienvenus à la Cour. Mais d'ailleurs, pourquoi la Comtesse semblait-elle si pressée de déclarer la guerre aux Humains, elle qui découvrait la situation en même temps que lui ?

Aux paroles de la Chamane, il hocha vigoureusement la tête. Rencontrer l'homme avant de l'étriper lui semblait une idée tout à fait recevable.

« Je suis tout à fait d'accord, Zaïna. Parlons-lui en premier. »

Il se tourna ensuite vers la Hongroise.

« Elizabeth... » Il hésitait, cherchant ses mots. « Peux-tu nous expliquer cette soif de violence ? Il me semble que, comme moi, tu n'es pas familière avec la situation ici... »

Il retint son souffle. Il aurait probablement mieux fait de garder ses doutes pour lui.

Zaïna confirma ses craintes. Capol et Magyari s’étaient probablement déjà rencontrés. La misérable crapule avait décidément bien tissé sa toile. Aussi désagréable qu’inattendue, une vague de peur s’abattit sur la comtesse. L’étau se resserre. La nécromancienne s’intima au calme. Méthodique, elle révisa ses options. En l’état, elle ne pouvait pas quitter les lieux. Elle venait d’arriver et son départ éveillerait tous les soupçons qu’elle tenait de contenir. D’ici, sa marge de manœuvre était limitée ; Amélia représentait l’unique pion à sa disposition. La première conclusion était donc qu’un recrutement s’imposait. La chamane proposait une rencontrer avec l’homme d’église pour l’intimider. Parfait. L’intimider – l’éliminer. Le pas était vite franchi. De plus, à sa proximité elle pourrait sonder son esprit pour s’enquérir de l’avancement de leur conspiration à son encontre.

Elle avait retrouvé sa contenance lorsque Maël l’invita à s’expliquer sur sa soif de violence. Dans les plis de sa robe, elle serra ses poings à s’en blanchir les phalanges.

- Soif d’ordre Maël, pas de violence, répondit-elle, morne.

La question n’était pas anodine et l’intérêt qu’elle lisait dans les regards de ses collègues était dangereux. La curiosité était un chemin qui les mènerait à leur perte – il était donc impératif d’éteindre le feu qui se formait – foutue Flamme.

- Effectivement mon cher, je découvre en même temps que toi – et avec consternation et horreur je dois bien te l’avouer – que les persécutions à l’encontre des Magiques ne semblent pas contenues à la cour impériale.

Elizabeth se leva, toisant la chamane et l’élémentaliste. Les mains jointes à la hauteur de son sternum, elle poursuivit :

- Je serai damnée avant que l’œuvre de notre vie ne s’effondre face à la folie et la haine des hommes. Rencontrons donc ce Von Capol dès son retour.

Et plutôt damnée que de plier sous le poids de la peur et voir ses projets retardés. La Comtesse de Hongrie avait une mission à accomplir et rien n’y personne ne l’en empêcherait. D’un hochement de tête elle prit congé du Triumvirat - et de son inquisition grandissante.

[A voir si vous voulez continuer sans Elizabeth, sinon je vous laisse rajouter au titre que le topic est terminé]