Le tant attendu retour du Roi Des Flammes [Terminé]

Maël abandonna ses valises au sol dans un lourd claquement qui résonna contre le sol en pierre du château.

« Mais où sont les domestiques quand on a besoin d’eux », grommela-t-il dans sa barbe.

Le château, abritant pourtant plus d’une cinquantaine d’habitants, semblait désert. Il s’hasarda, interpellant des noms au hasard :

« YIGAËL ! GUÉNAËL ! ZAÏNA ! … »

La grosse voix de l’Élémentaliste tonnait dans le hall. Il n’appela pas son fils cadet, Jezekaël, qu’il supposait toujours en voyage quelque part – voilà plusieurs lunes qu’il n’avait pas eu de ses nouvelles. Sa co-directrice Nécromancienne était-elle présente au château ? Yigaël n’avait pas mentionné son retour, il la pensait donc toujours quelque part dans le royaume de Hongrie. Il rugit tout de même :

« ELIZABETH ! »

Reprenant ses marmonnements insatisfaits de ne pas être accueilli en grandes pompes, il épousseta son long manteau, retroussa vaillamment ses manches et saisit les poignées de ses valises, qui lui semblaient peser des tonnes lorsqu’il songeait au nombre de marches à gravir jusque dans les tours où se trouvaient ses appartements.

Il n’avait aucune hâte de retrouver cet endroit maudit, dans lequel sa bien-aimée s’était éteinte. Rien que de songer à allumer un feu dans cette cheminée devant laquelle ils s’étaient si souvent blottis lui donnait des frissons dans le dos. Il espérait que son fils, Yigaël, qui logeait dans une chambrette attenante à ses appartements depuis qu’il était devenu tuteur, avait refait la décoration. Sans cela, la tour sentirait sous peu la tapisserie brûlée.

Il posait à contre-cœur son pied sur la première marche de l’escalier lorsqu’une voix le fit se retourner.

« Vous ici… »

La salve de proliférations inaudibles arrêta nette la discussion entre Zaïna et un jeune chamane sur les synthétisations d’esprits mineurs. Sans autre bruit, les deux sorciers reprirent leur discussion. Mais celle-ci se stoppa à nouveau lors d’une nouvelle gueulée provoquant un écho assourdissant jusqu’au tréfond des couloirs du rez-de-chaussée. Zaïna prit congé de son interlocuteur, décidée à découvrir les origines de ce raffut infernal.

« Vous ici… »

Lorsque Maël « La Flamme » Adrazar confirma bel et bien son identité en se retournant, c’est avec une légère note d’ironie dans la voix que Zaïna poursuivit :

« Voilà un jour si bien heureux que vous nous gratifiez enfin de votre présence, « La Flamme ». J’aurais pensé que vous nous aviez définitivement abandonné, si ce n’était pas pour vos fils qui nous abreuvent parfois de vos aventures extraordinaires. »

Ses airs perdirent quelques peu de leur malice pour laisser place à un sourire franc.

« Je suis cependant très heureuse de te revoir Maël. L’air est lourd de reproches et de tensions. Et je sens que nos retrouvailles à tous les trois était longtemps dues. »

La chamane détourna son regard vers la porte d’entrée comme espérant l’arrivée d’un fantôme. Celle qui faisait la fierté nécromancienne de cette école manquait toujours à l’appel.

« Je suis sûr que les esprits du vent nous ramèneront notre chère Elizabeth prochainement… »

Son visage retrouva son sourire lorsqu’elle retourna la tête en direction de l’élémentaliste.

« Mais assez de ces élucubrations… Mon cher, je veux tout connaître de vos activités en votre absence. Qu’avez-vous découvert ? De nouvelles terres ? De nouveaux sorts ? De nouvelles connaissances ? »

Elle interpella le chamane avec qui elle discutait auparavant et déglutit doucereusement :

« Necalli, veux-tu bien prendre les bagages de notre directeur bien aimé et les apporter dans ses appartements. Maël, me feriez-vous l’honneur de m’accompagner pour une tasse de thé ? »

Maël se rengorgea fièrement aux mots « aventures extraordinaires », bombant le torse et faisant fi du ton ironique de Zaïna. Evidemment, qu’il vivait des aventures incroyables, évidemment que la rumeur s’était répandue dans les couloirs de Lómilendë ! Sous peu, il trouverait comment fignoler son sort de flamme éternelle, parce que c’était ça, « fignoler », il était à bout touchant, il ne restait plus que quelques petits détails à régler, et le tour serait joué. Probablement. C’était en tous cas ce qu’il prétendait lorsqu’il écrivait des lettres à son aîné, s’épanchant sur des pages et des pages, expliquant les prouesses qu’il réalisait.

Zaïna interpela son sous-fifre, lui demandant de porter les valises chargées de bric-à-brac destiné à continuer ses travaux au sein de Lómilendë. Ses bras libérés, il s’avança vers la chamane pour l’embrasser. Il la serra contre lui sans attendre qu’elle s’avance, lui donnant une lourde tape sur l’épaule.

« Zaïna ! s’exclama-t-il encore. Quelle joie de te revoir ! »

Il recula d’un pas, couvrant sa chère collègue d’un regard affectueux.

« Une tasse de thé, quelle idée ! C’est une bière qu’il me faut après un tel trajet ! »

Il éclata de rire, théâtral, rejetant sa tête en arrière, les épaules secouées par ses gloussements. Il reprit rapidement son sérieux, pour balayer les questions de la Chamane.

« Oh, vous savez, j’ai travaillé avec acharnement à mon sortilège de Flamme Eternelle. Rien de passionnant, mais cela révolutionnera la magie élémentaliste si… lorsque j’aurai atteint mon but. Les éléments environnants ne seront plus une contrainte à l’utilisation du feu, imaginez ! »

L’Élémentaliste s’enjaillait.

« … plus jamais nous ne connaîtrons le froid, et ! imaginez ! le feu, à volonté ! c’est une arme des plus redoutable ! plus jamais de torche éteinte ! plus jamais nous ne frissonnerons dans la nuit ! la magie élémentaliste à son apogée ! »

Pantelant, le Directeur s’arrêta. Comme toujours, il se mettait dans tous ses états lorsqu’il pensait à sa chère Création. Il sembla enfin se rappeler ce qui le ramenait à Lómilendë.

« Mais enfin ma chère amie, dites-moi ce qu’il se passe par ici ? Quels sont vos… Nos ! tourments ? »

Un filet de lumière extirpa la comtesse de son sommeil tourmenté. Entrouvrant les paupières, elle aperçut sa servante déposer un plateau sur une petite table au pied de son lit. Les effluves d’une infusion de sauge finirent de l’extirper de ses draps. Dans une succession de mouvements pesants, Elizabeth s’empara de la tasse et se leva. De la fenêtre de ses appartements elle observa la cour où plusieurs élèves se prélassaient, ignorant qu’après tant d’années loin de Lómilendë, la comtesse était de retour. La nécromancienne était arrivée au cœur de la nuit, à l’insu de tous.

- Madame ?

Elizabeth se retourna pour découvrir le visage inquiet de sa domestique.

- Vous êtes sûre de ne pas vouloir vous reposer ? Ce n’est pas raisonnable de –

La main levée de sa maîtresse, lui indiqua de se taire. Prenant acte, Amélia effectua une courte révérence avant de disposer.

Évidemment qu’elle aurait préféré se reposer. Ou mieux, être près de son fils. A la place, voilà qu’elle avait dû se précipiter à Lómilendë et le confier à ses gouvernantes quelques semaines après sa naissance à peine. Elizabeth termina son breuvage d’une gorgée. Elle s’apprêtait à délaisser son point d’observation lorsqu’elle aperçut une silhouette sur le chemin menant à l’école. Reconnaissable entre mille, l’imposante carrure de Mael Adrazar gravissait le sentier, accablée de deux grosses valises. La scène du fier élémentaliste halant ses bagages tel un vulgaire écuyer aurait été comique si elle n’était pas de si mauvais augure. Tout comme elle, La Flamme, avait mieux à faire que de revenir à Lómilendë. Affairée à s’habiller, Elizabeth se surprit à espérer que cette histoire de menace planant sur l’école serait vite réglée. Elle pourrait alors reprendre la route pour retourner à Čachtice.

Vu le temps que prenait l’ascension jusqu’au château, la nécromancienne se décida à quitter son antre. Maël devrait arriver sous peu. Dans les couloirs et escaliers menant jusqu’au rez-de-chaussée, elle ne croisa personne. Pas qu’elle ait eut la prétention de savoir comment les tuteurs structuraient l’enseignement mais si elle se fiait aux quelques individus aperçus dans la cour, les élèves n’avaient pas cours et profitaient de la douceur printanière.

Dans le corridor au fond duquel se trouvait l’escalier menant au rez-de-chaussée, Elizabeth reconnut la voix son collègue. Profonde et grave - évoquant le grondement de l’orage au loin. « […] le feu, à volonté ! c’est une arme des plus redoutable ! plus jamais de torche éteinte ! plus jamais nous ne frissonnerons dans la nuit ! la magie élémentaliste à son apogée ! ». En haut des marches, elle observa ses collègues en contrebas. Maël poursuivit.

- Mais enfin ma chère amie, dites-moi ce qu’il se passe par ici ? Quels sont vos… Nos ! tourments ?

- Il semblerait que nous soyons devenus une telle nuisance pour nos voisins que ceux-ci envisagent de nous exterminer.

L’élémentaliste et la chamane se retournèrent pour découvrir la sombre silhouette de la comtesse, les mains jointes à hauteur du sternum. Ses lèvres pâles s’étirèrent en un sourire qui n’atteignit pas ses yeux aux paupières lourdes.

- Tu as fait bon voyage Maël ?

De fil en aiguille, les expressions du visage de Zaïna manifestèrent la surprise, le rire, l’engouement aux paroles de l’élémentaliste. Elle avait cultivé un don sans pareil dans l’art de rendre à son interlocuteur un intérêt certain. Cette technique qu’elle avait usée sur de nombreux hommes, de nombreux souverains était un outil adapté pour Maël « La Flamme » Adrazar. Le sorcier était tellement imbu de lui-même que la satisfaction qu’il éprouvait à l’attention portée par Zaïna était palpable. Elle ne devait pas être en soit l’objet de son appréciation, mais c’était son attitude qui était propice à la confidence. Avec la Comtesse, c’était différent…

Elizabeth Báthory de Ecséd présentait, selon Zaïna, une personnalité beaucoup plus subtile et plus raffinée. Mais ceci n’était pas étonnant pour la chamane ; les femmes portaient des qualités bien plus acérées que les hommes qui avaient la vie bien plus douce et plus reconnaissante. La nécromancienne ne semblait avoir que faire des flatteries mal placées. Ses objectifs devaient se concrétiser et pour cela, elle n’allait pas faire dans l’étalage mais dans l’efficience. Le talent avait l’air d’avoir plus de valeur à ses sombres prunelles. Pour ces raisons, le choc ne fut pas moindre pour Zaïna lorsqu’Elizabeth se dressa sur le haut des escaliers. Un mélange de soulagement et d’appréhension l’envahit à la vue de cette beauté mortelle.

« Ma chère Elizabeth… Nous n’avons pas eu l’honneur de vous accueillir. Vous m’en voyez navrée. »

Elle accompagna sa doléance d’une légère révérence de la tête. Pour Zaïna, la différence d’âge n’avait que peu d’importance dans le respect de ses pairs. Elle voyait en Elizabeth autant qu’en Maël des égaux et des êtres exceptionnels dans leur Art respectif.

« Il semblerait, malheureusement, qu’Elizabeth ait résumé parfaitement notre situation. Nos aides bénévoles pour accroître leurs maigres récoltes – et, par la même occasion, calmer leur haine – ne sont plus les bienvenues. Il semblerait que certains membres issus des institutions forgées par leurs croyances les plus profondes en une divinité unique nous accusent d’empoisonner leur nourriture. Néanmoins, j’ai espoir que nous puissions apaiser quelque peu les craintes de nos voisins non magiques en unissant nos influences respectives. »

« ELIZABETH ! »

Heureux de revoir sa collègue après une si longue séparation, l’Élémentaliste s’avança vers elle, les bras ouverts, prêts pour une accolade. Le regard glacé de la Nécromancienne le dissuada, il s’arrêta dans son élan et se contenta de gesticuler pour manifester sa joie.

« Quel bonheur de te revoir ! Quoi de neuf ?! »

Il fut ravi de la voir lever les yeux au ciel. On ne posait pas de questions aussi vulgaires que « Quoi de neuf ?! » à la Comtesse, enfin.

« Mon voyage s’est merveilleusement bien passé. Ces nouveaux modèles de calèches sont de vrais petits bijoux, les Humains sont capables de choses incroyables ! On aurait presque plus besoin d’un sort pour ne plus sentir les secousses ! FOR-MI-DABLE ! »

Encore une fois, le Sorcier s’emportait. Il se rappela à l’ordre, il était là pour des choses importantes. Il fronça les sourcils, réalisa ce que venait de dire Elizabeth. « Nos voisins », elle parlait là des Humains, ces mêmes Humains dont il venait de dire qu’ils faisaient des choses incroyables. Il se gifla mentalement.

« Ah, ces Humains… » marmonna-t-il.

Zaïna reprit la parole pour éclaircir davantage la situation. Foutus bigots ! Forcément, les pouvoirs des Magiques défiaient leurs croyances divines… Maël fulminait.

« Après tout ce que nous avons fait pour eux ! Dans la plus grande discrétion, sans jamais rien demander, sans jamais le moindre remerciement ! Arrosé leurs champs ! Réchauffé leurs hivers ! Guéris leurs maladies ! Après tout ça ! Mesdames ! Que proposez-vous ? Je veux bien parler, mais devant l’aveuglement religieux, je crains que nous ne puissions rien. Mes flammes sont vôtres si vous souhaitez mettre les alentours à feu et à sang. Qu’ils brûlent dans cet Enfer auquel ils croient ! Diable ! Comment osent-ils ?! »

Le Mage était outré. Il bougonnait dans sa barbe hérissée de colère. Enfin ! Pour qui ces Humains se prenaient-ils ?! Défier le plus grand des Élémentalistes ! Ils n’avaient pas idée de leurs adversaires.

…et effectivement, les Humains n’en savaient rien. Si les habitants de Lómilendë donnaient occasionnellement un coup de pouce aux villageois, c’était incognito. Rehausser les flammes d’un feu de cheminée en passant devant une baraque, marmonner une formule pour soulager le rhume de la boulangère, des actions si petites que les Humains ne les remarquaient pas ou… les attribuaient à Dieu. Une guérison si rapide, forcément un Miracle !

A l’exclamation de son nom, Elizabeth se crispa imperceptiblement. Maël s’avança avec l’apparente intention de l’enserrer mais se ravisa – peut être à la vue de son impassibilité ? Il opta pour une étrange gesticulation mêlant embarras et détermination ainsi que son caractéristique débordement de réflexions. Stoïque, la comtesse l’écouta s’épandre. Deuxième crispation à la prise de parole de Zaïna « j’ai espoir que nous puissions apaiser quelque peu les craintes de nos voisins non magiques en unissant nos influences respectives » Ils ne savaient pas. Les rumeurs. Les potins. Les ragots de la basse canaille à son propos.

- En toute franchise, je ne suis pas optimiste quant à notre marge de manœuvre… diplomatique.

La nécromancienne s’abstint de poursuivre. A cette heure relativement matinale, le hall de Lómilendë était désert, mais un flot d’élèves ne tarderait pas à s’y déverser.

- Je vous propose de poursuivre cette conversation ailleurs.

La proposition n’en ayant que le nom, la comtesse les invita à la suivre.

- Que dites vous d’un conciliabule dans notre bureau ?

La prospective de rebrousser chemin jusqu’aux tours et remonter les escaliers qu’elle venait de descendre ne l’enchantait guère mais représentait la meilleure alternative. Le sujet était trop important pour être discuté à l’arrachée entre deux portes ; l’office directoriale et ses multiples sortilèges protecteurs était idéale. Si le lieu était donc tout désigné, il lui restait à trouver comment annoncer à ses collègues que la furie de l’Eglise à leur encontre ne lui était pas totalement étrangère – bien au contraire. Si cette nouvelle croisade des hommes en soutanes était un feu, elle était indubitablement du bois pour le nourrir et ses récents projets un vent pour l’attiser.

La suite par ici.

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