« Fortia », murmura l'Élémentaliste en tassant la terre autour du jeune rosier qu'elle venait de mettre en terre. Les mains posées à plat au sol, elle ferma les yeux, sentant les racines prendre confortablement place dans le sol, absorbant l'humidité pour nourrir les branches qui, déjà, semblaient s'épanouir sous le soleil timide de ce début de printemps. Elle soupira de bien-être.

Elle voyait déjà, d'ici quelques années, le majestueux rosier qui grimperait le long de l'arche, surplombant ainsi l'entrée de la cour. Ses roses blanches accueilleraient avec bienveillance chaque être qui franchirait ce seuil pour rejoindre la quiétude de la cour du château. Les gens s'assiéraient là, sur ce banc entouré de dahlias et d'hortensias, inspirant les doux parfums fleuris et admirant la magnificence de l'arbuste qu'elle venait de planter.

Enfin. C'était une musique d'avenir. Pour le moment, l'arbrisseau mesurait à peine une cinquantaine de centimètres, on était bien loin de l'arche fleurie. Elle lui sourit, caressant doucement son feuillage. Même si la magie le permettait, elle n'accélérerait pas sa croissance. Le protéger, lui donner de la force, ça oui. Presser la nature, jamais. Elle l'aimait et la respectait bien trop.

Après avoir échangé quelques murmures avec la plante, elle se redressa, époussetant la terre qui souillait sa robe verte au niveau des genoux. Concentrée sur ces taches terreuses, elle ne vit pas la personne qui s'approchait et pénétrait la cour.

Sur le sinueux chemin menant à Lómilendë, une chariotte tirée par un âne tentait de ne pas plonger dans le ravin environnant. La route empruntée par le Nord n'était pas des plus agréables pour un étranger. Déjà que pour les locaux...

Seigneurs, que ce château est gigantesque et imposant! De loin j'ai cru que ce n'était qu'une cime de plus dans cet immense paysage roccailleux. Je suis bien loin des plaines de Champagne... J'espère que Maman et Grand-Mère savent ce qu'elles font en m'envoyant ici... Mamie n'avait pas l'air si surprise que ça pour ma magie. "C'est infortuné que cela se révèle maintenant". Même si cela fait des années que je le faisais. Je pensais que c'était normal. Ah, j'arrive enfin.


En effet, le jeune Auguste arrivait enfin en vue du parc et des jardins de l'immense école-forteresse. Toujours subjugué par la beauté irréelle de l'endroit, le Français mit pied à terre, l'air béat.

-Fantastique...

Il attacha maladroitement son âne à un piquet. Le noeud se défit et heureusement l'âne était bien trop fatigué par ces derniers jours de voyage pour s'importuner à s'évader. Le bourricot décida toutefois de profiter de sa liberté partielle en cherchant les chien-dents et autres feuilles de pissenlits.
Le blondinet à la peau basanée, les grands yeux bleus et un sourire sur ses lèvres s'avança jusqu'à une grande arche, avec de nombreuses fleurs à ses pieds. Il s'adressa à la charmante rouquine devant lui qui époussetait sa robe verte.

-Pardonnez-moi, ma demoiselle...Bonjour, navré de vous surprendre. J'ai fait un long trajet et je voudrais être sûr d'être arrivé à bon port, si j'ose dire. Je cherche Lómilendë. Oh, et je suis Auguste de Troyes, du Comté de Champagne. Enchanté.

Il effectua une révérencieuse courbette, main contre le coeur, et sourit naturellement en attendant la réponse de son interlocutrice. Un doux parfum de dahlias lui chattouilla les narines.

Aliénor sursauta lorsqu'on s'adressa à elle. Son regard se releva sur un jeune homme tout à fait charmant avec de grands yeux bleus lumineux. Elle resta abasourdie, d'autant plus lorsque le jeune homme lui annonça chercher Lómilendë. Durant de longues secondes, elle le dévisagea avant de balbutier :

« Euh- Je... Euh- Vous... Vous êtes à Lómilendë ? »

L'intonation de sa phrase marquait sa surprise et son incompréhension de la situation. Elle avait appuyé le mot « êtes », affirmant par là que l'inconnu se trouvait bel et bien dans l'enceinte de la réputée école, cependant le ton de sa voix s'était haussé sur la fin dans une marque d'interrogation reflétant les innombrables questions qu'elle se posait.
Qui était-il ? Que pensait-il que ce château était, si ce n'était la prestigieuse école ? D'où venait-il ? Pourquoi Diable fallait-il qu'elle, parmi tous les habitants du château, soit la première personne qu'il croise ? Que devait-elle faire ? Contacter un tuteur, une tutrice ? La direction ? Pouvait-elle se permettre de juste... le laisser se débrouiller ?

Pour prendre une décision, elle devait en apprendre plus sur ce qui amenait son interlocuteur en ces terres reculées. Elle s'éclaircit la gorge, dans un espoir d'être vaguement plus éloquente que lors de sa première tentative.

« Bienvenue. Qu'est-ce qui vous amène ? D'où venez-vous ? »

Elle eut une pensée pour les mauvaises herbes qu'elle devait encore retirer, les pivoines à planter, et toutes les plantes auxquels elle voulait prodiguer soins et sorts afin de garantir leur bon développement. Manifestement, cela devrait attendre.

C'était une belle journée, un soleil printanier réchauffait les dalles disposées au sol de la cour du château. Paresseusement, Lomi s'y dirigeait bien décidée à s'étendre de tout son long pour sentir la chaleur envahir son lourd pelage d'ébène.

Alors qu'elle cherchait l'endroit idéal pour une sieste, elle aperçut la jardinière, Aliénor. Pas quelqu'un de très intéressant à espionner, cependant Lomi appréciait le calme de la jeune femme. La féline ne s'était pas encore couchée lorsqu'un inconnu débarqua, surprenant manifestement la rouquine.

Curieuse, Lomi s'approcha. Qui était-ce ? Ses sens lui indiquaient qu'il avait grand besoin d'une douche et avait été récemment accompagné d'un cheval - ou autre équidé.

Elle s'installa sur le sol chaud et ensoleillé, s'assurant d'être à portée de voix des deux Magiques.

Du coin de l'œil, Aliénor vit Lomi s'installer dans la cour, s'allongeant au soleil. Elle retint son envie de saluer l'animal, craignant de passer pour une folle aux yeux de son interlocuteur. Parler aux animaux, quelle idée...

Selon ses dires, la Directrice était informée de son arrivée... Si tel était le cas, elle aurait pu dépêcher un membre du personnel pour accueillir le jeune homme plutôt que de les mettre tous deux dans cette situation plus qu'embarrassante. Qu'était-elle censée faire d'un tonneau de vin ? Le faire emmener en cuisine, s'assurer qu'il soit livré directement à la Directrice... Mais quelle Directrice, d'ailleurs ?

Elle n'eut pas le temps de lui poser la question, il enchaîna sur de charmants compliments au sujet de son du jardin de Lómilendë, ce qui la fit instantanément rougir. Rien ne pouvait lui faire plus plaisir que de voir son dur labeur reconnu à sa juste valeur.

Auguste, qui semblait ne jamais s'arrêter de babiller, lui demanda ensuite l'emplacement des écuries pour son âne, auquel il s'adressa avec le plus grand naturel. En aucun cas il ne semblait gêné de parler à son animal devant témoin, et Aliénor s'en voulut de ne pas avoir eu suffisamment d'assurance pour dire bonjour au félin qui semblait rire dans son sommeil de l'interaction à laquelle il assistait.

« Elle sont à droite avant d'entrer dans la cour... Enfin, à gauche, maintenant puisque vous sortez de la cour. C'est la première entrée à gauche, vous... »

... ne pourrez pas la louper, allait-elle dire mais le visiteur lui demandait déjà de se répéter. « Je n'ai pas suivi », s'excusa-t-il. Elle soupira. Elle ne reviendrait jamais à ses tâches, à ce rythme-là.

Ses craintes furent confirmées lorsqu'il lui demanda de l'accompagner. Quel toupet. Elle retint un énième soupire et accepta. C'était peut-être la façon la plus rapide de se débarrasser de lui... Elle donna un dernière coup du revers de la main sur sa robe, encore maculée de terre.

« Suivez-moi, je vous emmène aux écuries. Il y aura tout ce qu'il faut pour... Alphonse. Je vous montrerai ensuite les chambres. Oh, d'ailleurs, savez-vous à quelle Directrice la lettre a été envoyée ? Zaïna Oby ? Ou Elizabeth Báthory ? »

La jeune femme pariait sur la première, qui était plus présente à l'école, cependant en fonction des affinités magique du futur élève... Quoique, il avait dit venir de France, il était probablement Élémentaliste, il aurait dû être référé aux Adrazar. C'était à ne rien y comprendre.

D'un pas assuré, elle l'emmena en direction des écuries.



[je te laisse voir si on continue ici ou si tu veux passer au 2ème étage du château où il y a les dortoirs]

La gardienne des plantes et le noble benêt arrivèrent tous deux aux écuries. De nombreux pur-sang hongrois y étaient nourries et logés dans un enclos privé et plus luxueux. Et surtout plus propre que la partie réservée aux élèves ou visiteurs.
Auguste détacha le harnais d'Alphonse, qui hennît doucement en guise de remerciement et surtout de soulagement. Tirer un chariot avec bagage, tonneau et son conducteur sur les routes escarpées de Tarasp n'avait pas été une mince affaire.

-Voilà mon grand, repose-toi, tu l'as amplement mérité. Je te laisse, Alphonse, sois sage et fais-toi des amis.

Après s'être adressé à son âne et décalé la chariote non loin de l'entrée, sans que celle-ci ne bloque le passage, Auguste récupéra un gros sac et dévisagea le tonneau et le coffre contenant ses affaires.

-Bon, je reviendrais les récupérer après. Merci encore, Ma Demoiselle...? Aliénor. Très beau prénom, royal, sourit-il avec enthousiasme. Comme celui d'une reine de Bretagne, il y de cela des années. Bien!

Auguste lança un regard au château, immensément imposant depuis le sol. Ses tours semblaient s'élever à l'infini. Son instinct lui indiqua que la Directrice devait s'y trouver. À cette pensée, son esprit se rappela de la question de son interlocutrice, à laquelle il avait totalement oubliée de répondre.

-Deux Directrices? s'étonna-t-il avec un décalage presque comique, sinon ridicule.

Aliénor ne parvint pas à contenir un soupir d'agacement, et de surprise.

-Attendez, ma grand-mère m'a dit "J'ai envoyé une missive, adresse-toi à la Directrice à ton arrivée." Je n'ai pas plus d'informations. Je ne pensais qu'elle seraient deux. Oh, trois vous dites? Un directeur? Un trio gouvernant. Eh bien, ce n'est pas commun! Et sacrément confus!

Báthory... Je connais ce nom. Mamie m'a souvent parlé de cette lignée. Elle les porte en admiration. Je me rappelle des textes sur les royautés de Hongrie. Une véritable Baba Yaga, à en croire certains. C'est certainement exagéré. Personne ne peut être aussi mauvais, et cruel. Son Histoire est déformée par ses détracteurs. Maman dit que c'est une femme très puissante. Et que nos Rois et Empereurs n'aiment pas que des femmes comme elle les contredisent, ou les combattent. Que fait-elle dans cette école? Et Directrice de surcroît? C'est très étonnant. Il faudra que je passe à leur bibliothèque.
Et concernant l'autre Dame... Comment était-ce? Zaïna Oby...lequel est son nom? Pourquoi c'est si compliqué, ici? Les noms des locaux sont décidément difficiles. Est-ce que Grand-Mère la connaît, elle aussi? Je verrais bien.
Bon, montons jusqu'à leur office. Ou rencontrer un de leur pages ou serviteurs. L'un d'eux m'annoncera et elles me rencontreront à leur convenance. Ce sont des personnes très occupées je parie. D'ailleurs, si ça se trouve ce n'est pas de leur rang de me recevoir? Je ne connais pas le modus operandi dans ce cas. Ce ne sont pas des Reines? Enfin, l'une en tout cas oui. Et les deux autres? Royauté, noblesse?

Perdu dans ses pensées, Auguste se congédia d'une révérence auprès d'Alphonse puis d'Aliénor. Sans se donner la peine de voir s'il était suivi ou accompagné, l'ingénu entreprit de grimper les marches de l'escalier pour débarquer dans un hall magistral. Il admira distraitement les statues et tableaux et continua son ascension, espérant qu'un panneau lui indiquerait la bonne Tour. Sans s'inquiéter un instant de faire fausse route et de risquer de se retrouver à errer dans les couloirs du Château sans une aide opportune. Ou une rencontre inopinée.

Aliénor serait les dents, les poings, et tentait de continuer à afficher un sourire crispé à son interlocuteur. Dire qu'elle l'avait trouvé charmant au premier abord...

Il était insupportable. Non seulement il n'écoutait rien à ce qu'elle disait, mais en plus... il ne savait rien. Il débarquait, sans savoir à qui s'adresser, sans sembler s'en inquiéter.

Elle fulminait en l'aidant à installer son âne. Il faudrait encore l'accompagner aux dortoirs, attendre qu'il ait pris une douche, l'escorter chez on-ne-savait-quelle directrice... Elle était en train se préparer psychologiquement à ce dur labeur lorsque le jeune homme prit congé, la laissant sans voix.

Comme ça ? Il s'inclinait, remerciait vaguement pour l'aide et s'en allait joyeusement en direction de l'entrée du château ?

Très bien.

Aliénor ignora la pulsion qui lui donnait envie de le rattraper et de l'aider, bien trop altruiste. Avec tout de même une pointe de culpabilité, elle repartit enfin en direction de ses tâches, bien décidée à ne plus se laisser interrompre.